8 ans après le scandale des PIP (Poly Implant Prothèse), où en est-on ? C’est la réponse que cherche à donner l’enquête collective « Implant Files ». Fruit d’un laborieux travail issu d’un vaste consortium international de journalistes d’investigations, ils démontrent de sérieuses failles dans la réglementation des dispositifs médicaux ainsi que le manque récurrent de contrôle. Une inaction inquiétante de la part des autorités sanitaires quand on sait que le nombre de cancers liés aux prothèses mammaires est en constante augmentation. Alors, face à l’inertie, de nombreux médecins mais également des victimes réclament un moratoire concernant certains types de prothèses voire même, leur interdiction au vu des risques encourus.
Le lymphome anaplasique, un cancer uniquement lié aux implants mammaires
En 2010, le monde entier découvre Jean-Claude Mas, un fabricant de prothèses mammaires qui remplit ses implants de silicone frauduleux. Un scandale lorsqu’on sait qu’en France, plus de 400 000 femmes seraient concernées. Très vite, les autorités mettent en place un certain nombre de mesures dont l’une consiste à retrouver la trace des patientes implantées. Malheureusement, ce registre tarde à être mis en place et aujourd’hui encore, il est en cours d’instruction par la CNIL. « Nous avons un gros problème de traçabilité, » explique Corinne Haioun, responsable de l’unité hémopathies lymphoïdes à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil.
Parallèlement, les cas de lymphome anaplasique sont en constante augmentation. En 2011, on en compte 60 dans le monde alors qu’en 2018, on recense 56 cas rien qu’en France. « Lorsqu’on a découvert la maladie, on avait un ou deux cas par an. Aujourd’hui, c’est plutôt sept à huit nouveaux cas chaque année » déclare Philippe Gaulard, chef du département pathologies à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Ce cancer, qui s’installe dans la poitrine et se déclare environ 10 ans après la pose d’implants, est souvent qualifié de bénin dans la mesure où il est pris à temps. En effet, il suffirait de retirer la prothèse pour qu’il disparaisse. Mais Corinne Haioun n’est pas de cet avis et parle « d’évolutions très sévères ». Rien qu’en France, on compte déjà 3 personnes décédées du lymphome anaplasique ou LAGC.
Du côté des autorités sanitaires, l’inaction
Outre la traçabilité, les autorités sanitaires devaient assurer de meilleurs contrôles des dispositifs médicaux ainsi que des tests de biocompatibilité systématiques. Or, rien n’est allé dans le sens d’une amélioration. Car, si le scandale lié aux PIP vendues par Jean-Claude interroge, c’est bien parce que, justement, il disposait de la certification CE, indispensable à la commercialisation. Joëlle Manighetti, porte-parole des femmes porteuses d’implants explique : « j’ai découvert avec effroi que les dispositifs médicaux sont mis sur le marché avec une simple certification. En plus, c’est l’industriel qui choisit son certificateur ». Suite au scandale des PIP, beaucoup d’organismes de contrôles ont dû être remaniés à l’échelle européenne, mais les critères de certification restent inchangés.
Par ailleurs, les tests de biocompatibilité ne sont toujours pas systématiques. Déjà en 2016, soit 6 ans après le scandale, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) se rend compte que seule les fabricants de prothèses lisses avaient effectué les tests. Les prothèses texturées, elles, n’avaient toujours pas présenté leurs conclusions. Puis, l’ANSM « a donné un an aux fabricants pour faire ces tests, sans mettre de moratoire. Pendant ce temps-là, on continue d’implanter », explique Joëlle Manighetti.
Les prothèses texturées dans le viseur des professionnels de la santé
« On nous bassine tous les jours avec le principe de précaution, là ce n’est même pas un principe de précaution, c’est un principe de prévention », explique le Professeur Lantieri. Reconnu dans la profession, cela fait longtemps qu’il alerte sur la pose de prothèses texturées, et plus particulièrement, les macrotexturées. Il s’agit d’implants à la texture rugueuse, obtenue à partir de la projection de sel sur la surface ce qui leur donne un aspect irrégulier. Principalement utilisées en Europe pour la reconstruction mammaire, elles sont d’ailleurs prises en charge par l’assurance maladie.
Mais selon lui :
« on nous a expliqués par exemple que, grâce aux prothèses texturées, on n’aurait plus de phénomènes de coques. C’était faux. Ensuite, on nous a dit que les prothèses macrotexturées avaient un effet « velcro » qui permettait que la prothèse bouge moins une fois implantée dans le corps. C’est totalement faux. On a rien qui prouve ce qui a été affirmé là. »
Même constat pour Corinne Haioun :
« Les données que nous avons réunies permettent de dire que les prothèses qu’on qualifie de « texturées », de « rugueuses », sont certainement responsables de cette nouvelle maladie. »
Et il existe un fabricant, en particulier, qui inquiète : Allergan. En effet, certaines données scientifiques ont permis de montrer que la rugosité des prothèses crée une inflammation ce qui entraînerait le développement du lymphome anaplasique. Mieux, en juillet 2018, l’ASNM publie un rapport dans lequel elle explique que sur 50 femmes atteintes du LAGC, 59% d’’entre elles avaient des implants provenant de chez Allergan. Mais malgré tout, les prothèses continuent à être commercialisées et implantées.
L’urgence d’un moratoire pour les prothèses macrotexturées
Alors, pour pallier à l’inertie des autorités sanitaire, de nombreux professionnels de la santé réclament d’urgence la suspension de l’utilisation des prothèses macrotexturées. Le Professeur Lantieri en fait partie : « on fait des réunions tous les ans pour constater la même chose que l’année précédente. Je pose la question : à quoi servent ces réunions ? » Afin de déclencher une prise de conscience, il met en évidence un risque 2,8 fois plus élevé de développer un cancer avec la pose d’une prothèse Biocell d’Allergan.
Déjà, dans certains centres de chirurgie esthétique, les chirurgiens décident de ne plus poser de prothèses de la marque. Quant au Professeur Corine Haioun, elle préconise l’utilisation de prothèses lisses en attendant que des résultats probants puissent être mis en lumière par les autorités sanitaires. Par ailleurs, et après 8 ans de combat auprès de l’ANSM, les associations d’aide aux victimes commencent, elles aussi, à perdre patience. D’une seule voix, c’est donc un moratoire qui est exigé « le temps que les informations soient analysées en détail ».
Du côté de l’ANSM et suite au dossier « Implant Files », de nouvelles préconisations visant à privilégier les prothèses lisses viennent d’être promulguées. Quant à la Société française de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique (SoFCPRE), elle recommande également de ne plus utiliser de prothèses Biocell d’Allergan, étant impliquées dans 85 % des cas de développement du cancer LAGC.
C.J.