L’Antiquité s’étend du IVe millénaire avant J.-C. – naissance de l’écriture en Mésopotamie – jusqu’en 476 après J.-C.- chute de l’Empire Romain. La transition entre les beautés préhistorique et antique des civilisations égypto-gréco-romaines se fait avec les cultures mésopotamienne (Irak) puis minoenne (Crête), qui développent l’art sculptural lors de l’âge de cuivre et l’âge de bronze ancien. Les hommes s’élèvent en conscience, enterrent leurs morts et créent le culte divin.La civilisation égyptienne nait à partir du troisième millénaire avant J.-C. Elle produit un art essentiellement dominé par la religion et pour le respect des défunts, destiné à orner les tombes et les temples sacrés : car « la beauté égyptienne relève non seulement du corps, mais aussi de l’esprit (…) le beau, pour un Egyptien, c’est la vérité, ce que peut évoquer une personne humaine» (Desroches-Noblecourt, 2003).
Le devoir de l’artiste était de reproduire chaque détails aussi clairement que possible, de représenter le corps humain au plus près de sa vérité, afin de les fixer dans le temps, pour glorifier la jeunesse et la beauté du mort, l’accompagner dans l’au-delà et leur assurer une vie éternelle. De même pour les rites d’embaumement, où l’enveloppe charnelle devait rester intact : être beau jusque dans l’au-delà. Pour cela, il ne fallait pas être en contradiction avec l’harmonie universelle, car la beauté égyptienne n’est pas seulement affaire d’esthétique, « c’est aussi l’équilibre », un mode de vie, une morale, une philosophie…
Tendre vers le Beau, c’est préserver l’équilibre du cosmos, l’équilibre de la société, et se constitue ainsi comme une règle de la vie sociale ; la laideur apparaissant comme une rupture de continuité, l’Art s’occupait alors de la représenter en idéal… ou du moins de s’en rapprocher.
Cependant, pas de textes anciens sur la beauté – mais de nombreux sur l’Art des onguents, crèmes et autres cosmétiques ; le soucis de beauté est omni présent mais réside uniquement dans l’art de la sculpture – de face ou de profil, à travers des visages essentiellement féminins de déesses ou de reines charismatiques – ce qui souligne l’importance de la Femme dans ces civilisations dites « antiques ». Mais, la perspective en peinture n’existe pas, et seuls les masques funéraires et bustes du Nouvel Empire nous retranscrivent la beauté dans son intégralité… en 3D.
La plus célèbre des beautés égyptiennes est et restera Nefertiti, son nom signifiant « la parfaite est arrivée » ou « la belle est venue », de la racine Nefer, « beau ». Sa beauté canonique est légendaire et symbolise à la fois culte de la personnalité et culte divin. Cette beauté africaine est élancée, mince, à la peau claire et douce – en ocre-jaune, et non rouge réservé aux hommes travaillant au soleil. Le cou allongé, l’œil exagérément ouvert et souligné d’un trait de khôl pour intensifier le regard (et se protéger du soleil), des lèvres sensuelles et un ovale du visage dynamique qui a inspiré le « Néfertiti Lift ». Le visage est parfaitement symétrique, peu expressif, noble, dominateur, au regard intense, et représente la bienveillance, le pouvoir, la rigueur : une reine qui égale le roi en tout point de vue.
NB : À noter que la beauté de Cléopâtre (la VIIème du nom) est elle-aussi légendaire… mais d’origine grecque !
L’Art égyptien respecte des critères relativement stables, d’une régularité quasi géométrique, issue de la contemplation de la nature. Cependant, Diodore de Sicile (historien du 1er siècle av. J.-C.) rapporte dans sa Bibliothèque historique, que les différentes parties des statues étaient confectionnées dans différents lieux, par différents artistes, et que, une fois réunies, « les deux parties s’accordèrent si bien ensemble qu’il semblait que l’ouvrage entier avait été exécuté par un seul artiste (…) C’est alors qu’ils respectent leurs proportions ».
En effet, préalablement dessinée sur les parois à décorer, un patron formé d’une « grille de proportion » déterminait les points fixes du corps à représenter, définissant ainsi une ligne invariablement identique d’une sculpture à l’autre. Les sculpteurs utilisaient un système métrologique constitué d’un quadrillage à six carrés de haut, dans l’Ancien Empire (2700 à 2200 av. J.-C.) puis à dix-huit carrés dans le Moyen (2200 à 1500 av. J.-C.) et Nouvel Empire (1500 à 1000 av. J.-C.).
Au début massives et grossières, les proportions s’affinent au fil des siècles, avec notamment la révolution artistique amarnienne sous Akhénaton (18ème dynastie), avec une grille de vingt carrés, qui met en valeur le ventre (culte de la fécondité), avec une taille plus fine, des hanches plus hautes, puis l’allongement extrême des jambes (19ème dynastie) et des bras pour compenser (20ème dynastie) (Robins, 1994). Globalement, la taille de l’Homme était divisée en trois parties égales, valeur d’une coudée royale ou deux pieds de haut (52,42 cm) ; ainsi, la théorie modulaire du canon égyptien détermine le visage comme 1/3 de coudée, les épaules à 1/4 de coudée, les poignets et le bas des fesses à 1/2 coudée au-dessus de la ligne des genoux, et les jambes à 1 coudée. Mais, chacune de ces coudées est divisible en six carrés empilés : théorie fractionnaire. Lepsius a d’abord déterminé l’unité métrique comme étant le pied, car sa longueur égale le sixième de la taille (Lepsius, 1852) ; puis, en 1860, Blanc précise la longueur de chaque carré comme équivalant à 1/3 de pied, soit un doigt, le majeur (Legon, 1996), ce dernier étant « plus petit et organiquement plus stable que la tête ou le pied » (Barbillon, 2004).
Il en va de même pour « l’œil d’Horus » ou « l’Oudjat », symbole égyptien bien connu… Ses caractéristiques ne sont pas liés au hasard et respectent aussi des règles de proportionnalité. Il représente un œil humain fardé, surmontant deux marques caractéristiques du faucon pèlerin. La mythologie veut que Seth énuclée Horus, pour le jeter en 6 morceaux dans le Nil. Thot les récupère pour le reconstituer et rendre l’œil à son père.
Selon Möller, chacune de ces 6 parties correspond à une proportion précise de l’œil (Möller, 1911) dont la somme n’égale pourtant que 63 sur 64… Le 1/64ème restant représente la magie insufflée par Thot pour faire à nouveau fonctionner l’œil (Saugeon, 1999).
Symbole de lumière, de connaissance (qui voit tout), de santé, d’invulnérabilité et de fertilité, ce porte-bonheur faisait l’objet d’offrandes quotidiennes dans les temples, afin d’assurer la reconstitution de l’œil, allégorie des cycles lunaires, pour la pérennité de l’équilibre cosmique.
Bien que « les canons esthétiques égyptiens ont légèrement évolué au fil du temps (…) les proportions du corps posées dès la 1ère dynastie restent globalement conservés » (Simonnet, 2003) : la plastique égyptienne est née, à la fois humble et majestueuse, représentation idéale d’un corps parfaitement équilibré, symbolisant un Homme libéré de l’emprise du temps, dont « l’harmonie et l’élégance nous semblent étonnement proches de nous, presque modernes » (Simonnet, 2003).
Ainsi, pendant plus de trois milles ans, la beauté a-t-elle tenue une place primordiale dans la civilisation égyptienne antique, avec un désir constant de perfection esthétique : le canon égyptien s’est ainsi cristallisé pour les siècles à venir. Plus qu’un désir d’apparence, cette quête du Beau révèle aussi une philosophie, un art de vie, une sagesse collective séculaire. Lenz ne disait-il pas : « les dogmes de l’art sont aussi nécessaire que les dogmes de l’église elle-même, car l’art doit rester saintement la représentation des plus hautes vérités, pour ne pas tomber dans la confusion ou dans l’erreur » (Lenz, 1905).
Et dans ce désir d’éternité, leurs représentations artistiques, en respectant déjà des règles de proportionnalité entre les différentes parties du corps, n’annonçaient-elles pas ainsi la naissance du nombre d’or ? A la différence que le canon égyptien servait à « reconstituer la figure humaine (comme une forme absolue, aussi normatives que sont des règles topographiques), alors que le nombre d’or ne sert qu’à la pondérer dans l’intention de l’embellir » (Barbillon, 2004). Le principe canonique égyptien apparaît comme un système formel, unificateur et vertueux, véritable révolution dans l’Histoire de l’Art, et qui servira de modèle pour le renouveau de la liturgie chrétienne au XIXème siècle.
Au soir de sa vie, Lenz avance une conception historico-biblique de ce canon, où la parfaite architecture et le respect des proportions conféraient à ces oeuvres une signification mystique, une loi éternelle – afin d’éduquer l’Homme au vrai et de le mener à l’Eternel, la contemplation du divin même, comme forme normée de notre humanité… la naissance d’un Dieu unique, dans une culture païenne, où Adam et Eve apparaissent comme le prototype de cette image originelle pré-biblique ; le pécher originel symbolisant la perte d’une norme proportionnelle, annoncée par l’organicisme grec (Lenz, 1921).
Voilà pourquoi 2000 ans après la disparition de cette civilisation, nous parlons encore d’eux : le désir de beauté n’est pas une affaire individuelle, narcissique, névrotique, matérielle ou immature, et il peut largement s’inscrire dans une dynamique sociale : la beauté comme remède pour une paix intérieure et éternelle. Elle pourrait retrouver de nos jours ses lettres de noblesse, en l’associant à la santé : aspirer au beau, c’est prendre soin de soi pour vivre vieux et en bonne santé…
La médecine anti-âge, une solution aux dépenses de santé !?
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BIBLIOGRAPHIE
- BARBILLON C. – Canons du corps humain au XIXè siècle (Les): L’Art et la Règle, Ed. Odile Jacob, Paris, 2004.
- BLANC C. – Grammaire des arts du dessin, dans « Principes. Des proportions du corps humains », Revue La gazette des Beaux-arts, juillet-aout-septembre 1860 : 193-211.
- DESROCHES-NOBLECOURT C. – Sous le regard des dieux, Ed. Albin Michel, 2003.
- DIODORE de Sicile – Bibliothèque historique, 1er siècle av. J.-C.
- LEGON J.A.R. – The Cubit and the Egyptian Canon of Art, Discussions in Egyptology 35 (1996) : 62-76.
- LENZ P. – L’esthétique de Beuron, 1898. Bibliothèque de l’Occident, 1905.
- LENZ P. – Der kanon, Benediktinische monatschrift zur pflege religioesen und geistigen lebens, 1921 : 363-72.
- LEPSIUS C-H. – Quelques découvertes provenant des monuments égyptiens utiles pour la connaissance de l’histoire de la période ptolémaïque [« Über einige Ergebnisse der ägyptischen Denkmäler für die Kenntniß der Ptolemäergeschichte »], Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1852.
- MÖLLER G. – Die Zeichen für die Bruchteile des Hohlmasses und das Uzatauge, Zeitschrift für Ägyptische Sprache und Altertumskunde 48 (1911) : 99-101.
- ROBINS G. – Proportion and Style in Ancient Egyptian Art, Austin, 1994.
- SAUGEON. F – L’œil d’Horus, Réciproques, n°8, mars 1999.
- SIMONNET – Une histoire de la beauté : l’Egypte, Revue L’Express, juillet 2003.
LIENS INTERNET :
« Beauté et idéal corporel » – blog : Les 3 M, janvier 2012 : [http://tpe2011des3m.canalblog.com/archives/2012/01/28/23358288.html]