La toxine botulique de type A, BoNT/A est largement utilisée pour la réduction cosmétique des rides de la partie supérieure du visage.
Devant la diversification d’usages de la toxine botulique et sa banalisation (voir notre article sur les injections de toxine botulique), il est important d’élucider les mécanismes impliqués dans son mode d’action intracellulaire et ses conséquences neurologiques et psychologiques.
Lorsqu’on l’injecte en intramusculaire, la BoNT/A produit une dénervation chimique localisée des muscles qui provoque un effet qui va de la relaxation musculaire à sa paralysie.
Quand on l’injecte en intradermique, la BoNT/A produit une dénervation chimique des glandes sudoripares et réduit ainsi localement la transpiration. Cette dénervation est réversible et demande entre trois et cinq mois pour progressivement retrouver sa fonction antérieure. Le temps de récupération est indépendant du type de BoNT/A employé, mais est seulement fonction des capacités de régénération de l’organisme.
Nos nombreux traitements des rides glabellaires, frontales et de la patte d’oie sur des patientes âgées de 70 ans et plus nous ont clairement montré une efficacité de la BoNT/A supérieure à six mois chez ces patientes (peut être en raison d’une reconstitution plus lente des terminaisons nerveuses dénervées). Par contre l’usage de différents types de BoNT/A nous a montré un temps de dénervation variable en fonction du produit utilisé.
Il existe actuellement trois sortes de toxine botulique type A disponible sur le marché : les complexes de neurotoxine purifiée (Botox 50, 100, 200 en usage médical et Vistabel 50 en usage cosmétique), les complexes d’hémagglutinine (Dysport 300, 500 et Azzalure 125 en usage cosmétique) et une nouvelle forme sans protéines complexantes (Xéomine 100 et Bocouture 50 en usage cosmétique).
RECHERCHES FONDAMENTALES
ETUDE N°1
Récemment, on a montré que, la toxine BoNT/A, entrait dans les neurones en se liant à la protéine SV2 des vésicules synaptiques (Dong et al. 2006; Mahrhold et al. 2006). La toxine BoNT/A est alors intériorisée par l’endocytose vésiculaire puis transférée dans le cytosol, dans lequel elle exerce son activité protéolytique sur la protéine SNAP-25 (Schiavo et al. 2000; Rossetto et al. 2006).
Il est généralement admis que les effets de la toxine BoNT/A restent localisés aux synapses près du site d’injection.
Contrairement à cette idée reçue, Flavia Antonucci et al. (2008) ont démontré que la toxine BoNT/A entreprend un transport axonal rétrograde pour être ensuite transmise au cytoplasme des neurones afférents dans lequel elle rompt les SNAP-25.
Ces découvertes ont des implications importantes pour la compréhension des mécanismes d’action de la toxine botulique BoNT/A. Les auteurs ont étudié la distribution du SNAP-25 rompu après injection de toxine BoNT/A dans des aires centrales et périphériques. Ils ont trouvé que les SNAP-25 tronqués par la toxine BoNT/A se retrouvaient non seulement dans le site d’injection mais aussi dans des régions éloignées.
Cette étude est la première preuve que la toxine Botulique peut atteindre intacte des neurones du deuxième ordre dans le système nerveux central après une injection périphérique (Priori et al. 1995; Giladi, 1997; Abbruzzese et Berardelli, 2006).
ETUDE N°2
Certaines recherches réalisées par Hennenlotter A. et al. (2009) sur l’imitation d’expressions faciales d’un visage fâché montrent une réduction de l’activation de l’amygdale gauche chez des patients ayant reçus des injections de toxine Botulique pour traiter les rides frontales. Ces découvertes basées sur l’analyse de l’IRM fonctionnelle lors d’imitation d’expressions révèlent un lien entre le feedback des mouvements musculaires du froncement du front durant l’imitation des expressions de colère et une modulation des activités nerveuses dans l’amygdale gauche et ses couplages fonctionnels avec les régions autonomes du tronc cérébral impliquées dans les manifestations des états émotionnels.
L’atténuation de la réponse de l’amygdale n’est apparente que lors de l’imitation de la colère, quand les actions d’abaissement des sourcils est beaucoup plus importante, que lors de l’imitation de la tristesse. Il semble qu’il y ait un lien entre l’activité limbique cérébrale et la force de contraction des corrugators.
Cette étude montre que les humains ont tendance à mimer l’expression de leurs émotions et que les entrées afférentes, issues de notre visage à partir de nos expressions faciales, peuvent influencer et renforcer notre ressenti émotionnel en réponse aux expressions faciales de l’autre, par une modulation adaptée de l’activité limbique du cerveau.
ETUDE N°3
David Havas s’est intéressé à un autre volet de l’expression des émotions : le langage. Le langage peut évoquer et provoquer des émotions importantes et influencer le comportement des autres. Les mécanismes par lesquels le langage et les émotions interagissent est encore mal connu. Cet auteur a expérimenté lors d’une première série d’expériences, l’électromyographie appliquée à l’évaluation des schémas comportementaux du visage lors de la lecture silencieuse de phrases à contenu affectif (colère, tristesse, joie).
Une seconde expérience a testé le rôle fonctionnel de l’activité faciale dans la compréhension du langage émotionnel chez des participants qui ont reçu des injections dans les muscles corrugator, de toxine Botulique-A.
Ces études montrent que la paralysie temporaire des corrugators, à visée esthétique, réduit la capacité d’expression pour les phrases contenant de la colère ou de la tristesse tandis que le processus d’expression de phrases heureuses n’est pas affecté. Cette altération ne peut pas être expliquée par un trouble de l’humeur.
De récentes études montrent que l’imitation volontaire des expressions faciales est associée avec une activation dans les régions limbiques telles que les amygdales (Carr et al. 2003 ; Wild et al. 2003 ; Dapretto et al. 2006 ; Lee et al. 2006).
L’amygdale a de puissantes et réciproques connections avec l’hypothalamus et le tronc cérébral. Il est donc probable qu’il existe un feed-back issu des muscles et de la peau du visage qui module l’activation de l’amygdale et de ses couplages avec le réseau neuronal impliqué dans les manifestations des états émotionnels.
ETUDE N°4
La substance P (SP) est un neuropeptide, c’est-à-dire un polypeptide ayant des fonctions de neurotransmetteur et de neuromodulateur. La SP est le neuropeptide le plus abondant dans le système nerveux central. Elle se fixe sur des récepteurs endogènes spécifiques : les récepteurs NK1.
Dans le système nerveux central, la Substance P est associée à la régulation des troubles de l’humeur, de l’anxiété, du rythme respiratoire, des nausées et de la douleur. La voie neurologique qu’emprunte la SP pour agir sur la peur et l’anxiété n’est pas bien connue. Cependant, il est bien connu que l’amygdale (impliquée dans la peur et l’anxiété) contient beaucoup de neurones chargés de SP et de récepteurs à la SP.
Plusieurs études ont permis de prouver que la gestion de l’anxiété au sein de l’amygdale est due à la neurotransmission SP. Zhao et col. On a pu prouver que l’infusion de substances antagonistes aux récepteurs SP dans le noyau interne de l’amygdale avait pour effet de bloquer le déclenchement de la peur.
Leurs recherches donnent à l’amygdale un rôle critique dans les voies de la modulation de la peur et de l’anxiété. La SP et son récepteur spécifique à neurokinine 1 (NK1) ont été détectés dans toutes les aires impliquées dans la régulation de la réponse au stress et à l’anxiété (cortex préfrontal, hippocampe, putamen, septum latéral, amygdale, noyaux hypothalamiques, raphé dorsal…).
Il est bien établi (Brodin et col.) qu’une simple dose de diazépam réduit les niveaux tissulaires de SP dans l’hippocampe. Récemment, Hitoshi Ishikawa et col.ont pu montrer sur les yeux de lapin que le BoNT/A peut inhiber la libération de substance P des terminaisons du nerf Trijumeau du muscle de l’iris du lapin.
Il est donc également acquis que la toxine botulique peut interférer avec la substance P et ses récepteurs NK1 tous deux impliqués dans la gestion du stress et de l’anxiété au niveau de nombreux centres cérébraux dont l’amygdale.
ETUDE N°5
Plus de 100 millions de personnes souffrent de dépression dans le monde et les moyens thérapeutiques dont nous disposons sont loin de couvrir et de stabiliser l’ensemble des patients.
L’injection de toxine botulique pour traiter les rides de la face est devenue l’acte le plus fréquent en médecine esthétique. Dès 2003, Sommer et col. ont noté, au-delà de l’amélioration de l’apparence physique, une sensation de mieux être rapportée par des patients qui avaient reçu ce traitement.
En 2006, Finzi et Wasserman, ont pu noter une baisse des symptômes dépressifs après injection de toxine au niveau de la glabelle. En 2009, Lewis et Bowler ont pu constater une réduction notable de la peur et de la tristesse. En 2010/2011, Havas, Neal et Chartrand ont noté une interférence entre traitement par toxine botulique et capacité à décoder les mimiques faciales. Enfin en 2012 Wollmer et Kruger ont franchi le pas en soutenant une réelle action antidépressive et durable de la toxine botulique.
Nous avons voulu tester l’effet antidépresseur de la toxine botulique dans notre cabinet. En pratique de ville la procédure du double-aveugle n’est pas facile à mettre en œuvre aussi avons-nous préféré mettre en place une étude croisée toxine botulique contre mésothérapie antistress. Nous avons utilisé le protocole suivant : toxine botulique puis Mésostress ou Mésostress puis toxine botulique sur un suivi de 8 mois.
Dans notre pratique de mésothérapie, nous avons l’habitude de traiter les patients anxio-dépressifs par des injections de mésothérapie.
Nous avons injecté le mélange de mésothérapie sur la face de façon symétrique à raison d’un point à la racine interne du sourcil, d’un point en avant des oreilles et d’un point à la base du sternocléidomastoïdien.
L’avantage de la méthode croisée toxine botulique/mésostress est que l’on injecte avec les deux méthodes la région intersourcillière. Le patient ne sait pas si on lui injecte de la toxine botulique ou le mélange de mésostress.
Nous avons donc défini deux protocoles : le premier avec toxine botulique d’emblée puis séance de mésostress bimensuelles pendant 8 mois et le second également 8 mois de séances de mésostress bimensuelles mais entrecoupées au 4° mois par une séance de toxine botulique. Dans les deux cas le suivi d’évaluation se poursuit pendant 8 mois.
Le mélange de mésostress contient : 2 ml de Lidocaïne 0,5%, 1 ml de Pidolate de magnésium à 0,8% et 0,5 ml d’Amitriptyline. La toxine utilisée est le Bocouture de chez MERZ 50UI reconstitué avec 1,1ml de sérum salé à 0,9% et 0,15 ml de Lidocaïne à 20mg/ml afin de produire un effet anesthésiant comme le fait le mélange de mésostress.
Nous avons sélectionné avec le test de Hamilton 40 patientes âgées de 30 à 83 ans sans nous soucier des restrictions d’AMM non fondées sur des études car, en pratique esthétique, nous avons l’habitude de traiter les rides frontales sans commettre de ségrégation de jeunisme. Les scores d’Hamilton de nos patientes allaient de
15 à 27.
A quatre mois dans le groupe à toxine botulique d’emblée nous avons constaté une amélioration de 55% pour atteindre 65% à huit mois. Dans le groupe à toxine botulique en milieu de parcours, nous avons obtenu une amélioration de 20% au quatrième mois pour atteindre finalement 60% au huitième mois.
L’ordre du parcours ne semble donc pas indifférent au résultat, mais le résultat est bien au rendez-vous. Ce qui est le plus intéressant dans cette étude menée dans un contexte de médecine esthétique, c’est que quand les patientes ont ressenti à la fois, l’amélioration de leurs rides et de leur bien-être, elles se sont inscrites pour des soins esthétiques spécifiques. Et les plus âgées (les plus de 70 ans) ont été les plus motivées.
DISCUSSION
Il semble que la toxine botulique pourrait aussi agir sur la modélisation neuronale. La toxine botulique affecte le processus cholinergique des jonctions neuromusculaires et abaisse le tonus des fibres motrices. Or il est connu que le feed-back du tonus musculaire contribue à la formation des modèles internes, décrivant l’état du corps, nécessaires pour adapter la programmation des commandes motrices a priori, avant que le mouvement ne commence. Le feed-back facial, pourrait être une source d’informations utile pour actualiser le modèle de l’état émotionnel du corps.
D’autre part, il semble que l’amygdale, le cortex orbitofrontal et les centres du tronc cérébral impliqués dans la régulation autonome des états émotionnels soient les organes cibles qui, subissent les modifications plastiques de la circuiterie neuronale induites par l’injection périphérique intramusculaire de toxine botulique-A.
De nouvelles recherches, orientées dans ce sens, pourraient apporter un éclairage intéressant sur les perturbations de la perception cognitive et émotionnelle induites par la toxine botulique-A.
Le médecin qui pratique la médecine anti-âge et esthétique reste avant tout un médecin. La dépression et le stress le concernent car ils sont des facteurs de vieillissement certains (comparez l’âge apparent d’un visage qui sourit avec celui d’un visage qui porte l’amertume). Le fait d’utiliser régulièrement la toxine botulique dans le cadre de la correction des rides d’expression lui donne une expérience précise et précieuse dans l’usage de ce produit. De nombreuses nouvelles indications de la BoNT/A sont apparues récemment dans les indications médicales et gageons que ce mouvement de médicalisation de la BoNT/A n’est pas prêt de finir.
Notre rôle n’est pas que de soigner des maladies, il est aussi de les prévenir et d’améliorer le bien-être physique, et moral. Ce bien-être se lit sur notre visage qui est notre carte de visite sur le monde.
La toxine botulique présente donc une action psychotrope, qui la fait passer du stade de poison à médicament, ce qui de fait la réserve à l’usage médical strict et à tous les médecins formés à son usage indépendamment de leur spécialité d’origine.
La mention Vidal des toxines botuliques à usage esthétique est le suivant : BoNT/A indiqué dans la correction temporaire des rides verticales intersourcilières modérées à sévères observées lors du froncement des sourcils, chez l’adulte de moins de 65 ans, lorsque la sévérité de ces rides entraîne un retentissement psychologique important chez le patient.
Le Vidal reconnait de fait l’effet psychotrope de la toxine ; si votre patient se sent dépressif et qu’il a des rides intersourcilières, vous pouvez le traiter avec de la BoNT/A. Vous n’êtes plus dans le domaine strict de l’esthétique et de sa TVA !
Le Docteur Michel CHERRIER ne déclare aucun conflit d’intérêt.
BIBLIOGRAPHIE
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Note du comité de lecture