Le jeûne, une pratique ancestrale revisitée par la science moderne, intéresse de plus en plus les domaines de la santé et du bien-être.
Les bénéfices du jeûne et de la restriction calorique sur la santé et la longévité ne sont plus à prouver. De nombreuses études en vantent les mérites, notamment ceux du jeûne intermittent. Mais comment pouvons-nous amener nos patients à adhérer à cette pratique de manière progressive, sans raviver leurs peurs ancestrales liées à la privation de nourriture ?
Bases biologiques et génétiques du jeûne
Nous sommes programmés pour jeûner. Nos ancêtres chasseurs cueilleurs ne se réveillaient pas avec un frigo plein et partaient chasser le matin à jeun, revenant parfois bredouilles. Nous partageons encore une grande proximité génétique avec eux, et il est essentiel, si l’on souhaite introduire le jeûne dans nos consultations, de commencer par rassurer et expliquer ses bienfaits.
Effets métaboliques et bienfaits pour la santé du jeûne
Les bénéfices du jeûne pour la santé s’expliquent essentiellement par le phénomène d’autophagie.
Ce mécanisme, qui permet le recyclage de nos protéines défectueuses, de nos cellules et organites usagés, favorise la production de nouvelles cellules saines. Ce processus d’autophagie est lié à l’hormèse, dont le principe consiste à sortir juste assez de sa zone de confort pour renforcer et régénérer l’organisme, sans aller trop loin, sous peine de provoquer des effets délétères. C’est précisément notre rôle, en tant que médecins, de guider le patient afin qu’il ne franchisse pas cette limite dangereuse.
Les effets métaboliques du jeûne sont :
- Une amélioration de la sensibilité à l’insuline,
- Une diminution de l’inflammation (notamment le phénomène d' »inflamm’aging ») et du stress oxydatif,
- Une modulation de la sécrétion du cortisol,
- Une diminution des proliférations cellulaires,
- Une augmentation de l’hormone de croissance,
- Une meilleure résistance cellulaire au stress,
- Une plus grande plasticité neuronale,
- Et une stimulation des cellules souches.
Peut-être qu’un argument esthétique pourrait convaincre certains de nos patients réticents : en effet, l’autophagie améliore la texture et la densité du collagène, tout en clarifiant la peau et en luttant contre ses imperfections (acné, taches, teint terne).
Stratégies pratiques
Commencer avec le jeûne intermittent
En pratique, pour débuter dans le jeûne, le jeûne intermittent est idéal. Il peut être recommandé à tous nos patients en surpoids, résistants à l’insuline, en quête de longévité, cherchant un moyen de détoxification ou souffrant de dysbioses intestinales.
On peut commencer progressivement, avec des paliers sur plusieurs semaines, en instaurant d’abord des jeûnes de 12 heures, simplement en avançant le dîner et en reculant le petit déjeuner. Après plusieurs semaines, on peut augmenter la durée à 13 heures (par exemple 11h-13h), puis 14 heures (10h-14h) et ainsi de suite, jusqu’à atteindre le célèbre 16/8, qui permet un recyclage complet des cellules intestinales.
En effet, c’est après 16 heures de jeûne que le Complexe Moteur Migrant peut achever son travail de nettoyage et d’élimination des déchets. Le patient pourra alors sauter le petit déjeuner ou le dîner, l’important étant la durée du jeûne. Cependant, un dîner trop tardif est à déconseiller.
Ces recommandations doivent être adaptées au mode de vie de chaque patient. Les durées de jeûne peuvent aussi être flexibles. Du 16/8 au jeûne de 72 heures, ces pratiques ne nécessitent pas de surveillance particulière. Cependant, elles sont contre-indiquées pour les enfants, les femmes enceintes et les femmes allaitantes.
Les conseils alimentaires doivent être personnalisés, en favorisant une alimentation anti-inflammatoire, plutôt pauvre en glucides.
Approfondissement avec le jeûne prolongé
Les bénéfices pour la santé du jeûne intermittent peuvent suffire, mais pour les curieux et les plus courageux, l’expérience d’un jeûne long, au-delà de trois jours, peut être intéressante.
Plus le jeûne est long, plus les phénomènes d’autophagie sont importants. Attention cependant à ne pas dépasser 7 à 10 jours car, au-delà, l’autophagie peut s’inverser et devenir délétère.
Le suivi d’un jeûne long est plus spécifique et, à mon avis, il est important de l’avoir expérimenté soi-même pour pouvoir donner de bons conseils.
Si vous n’avez pas envie de franchir ce pas, voici quelques principes de base à connaître, car il est probable que certains de vos patients pratiquant des jeûnes prolongés vous demandent votre avis sur le sujet. Un encadrement médical est nécessaire pour les jeûnes de plus de trois jours, car les contre-indications sont plus nombreuses.
Avant de commencer, un bilan biologique de base est essentiel pour rechercher des troubles métaboliques, une insuffisance rénale, une uricémie élevée, des troubles thyroïdiens mal équilibrés ou des carences micro nutritionnelles importantes. Il peut être nécessaire de consulter un cardiologue en fonction des besoins.
Il est également indispensable d’évaluer l’état d’anxiété et de stress, ainsi que la présence éventuelle de troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie, etc.).
Pour rassurer : un patient de 70 kg, mesurant 1,70 m, a suffisamment de réserves pour jeûner environ 40 jours. Après la mise en cétose (environ 3 à 5 jours de jeûne), le corps élimine chaque jour : 100 g d’eau, 20 g de protéines (75 g au début du jeûne) et 300 g de graisses, carburant essentiel à la production des corps cétoniques.
Un IMC trop bas constitue bien sûr une contre-indication. Aussi, le jeûne est fortement déconseillé aux patients sous sulfamides hypoglycémiants ou traités par Anti vitamine K, en raison des difficultés d’équilibrage du traitement que cela pourrait engendrer. Les antalgiques, la metformine et les bêta-bloquants peuvent être poursuivis, avec éventuellement une adaptation de la posologie.
Il est important de connaître les inconvénients du début de jeûne pour mieux accompagner les jeûneurs débutants. Le premier obstacle, souvent source de peur, est la sensation de faim. Pour y faire face, il est utile de se demander si cette sensation n’est pas en réalité de la soif (dans le cas d’un jeûne hydrique, il est conseillé de boire un grand verre d’eau). Est-ce que j’ai réellement faim, ou s’agit-il d’une envie de manger, d’une fringale ou d’une frustration ?
Il est courant de ressentir une obsession pour la nourriture durant les trois premiers jours du jeûne. En parallèle, des coups de fatigue peuvent survenir, c’est pourquoi il est recommandé de se reposer et d’éviter toute activité stressante ou intellectuellement exigeante en début de jeûne. Il peut également être utile de prescrire des compléments alimentaires, tels que des électrolytes, du magnésium ou du potassium.
Un encadrement médical ou la participation à un groupe de jeûneurs peut être bénéfique pour partager ses ressentis, ses angoisses et ses inconforts émotionnels. Les migraines, qui peuvent survenir au début du jeûne, peuvent être atténuées en diminuant progressivement les aliments riches en amines (fromage, chocolat, café, alcool) les jours précédant le jeûne. Il est également conseillé de prévoir des bouillotes et des vêtements chauds, car la température corporelle a tendance à baisser.
Le jeûne est une occasion de retour à soi et de soin personnel. Il peut être agréable de prévoir des activités complémentaires comme le sauna, les massages ou les promenades en nature.
Arriver au bout d’un jeûne long (j’ai personnellement jeûné plusieurs fois pendant 7 jours) apporte une grande satisfaction personnelle : « j’y suis arrivé », une confiance en soi renforcée et une foi renouvelée en la capacité de régénération de son corps. Cette parenthèse permet également de se reconnecter à des signaux corporels et d’apprendre à distinguer la véritable sensation de faim.
Une réalimentation réussie et un maintien des acquis
Pour prolonger tous les bienfaits du jeûne, il est primordial de réussir la sortie de jeûne et de planifier soigneusement la reprise alimentaire.
Les bénéfices du jeûne peuvent être complètement anéantis si la réalimentation n’est pas progressive, sans parler du risque de syndrome de réalimentation après des jeûnes très longs.
Afin de maximiser les bénéfices du jeûne, il est recommandé d’adopter durablement une alimentation saine, anti-inflammatoire, à faible index glycémique, tout en évitant les polluants chimiques et les perturbateurs endocriniens.
Après le jeûne, il est utile de réévaluer la santé de nos patients pour mesurer les effets du jeûne, examiner les objectifs atteints et discuter des stratégies de maintien des résultats sur le long terme.
Conclusion
En suivant ces étapes, vous pourrez offrir à vos patients un cadre à la fois sécurisant et efficace pour entreprendre un jeûne prolongé, tout en minimisant les risques et en maximisant les bénéfices potentiels de cette pratique.
Dans le cadre d’un programme santé et longévité, vous pouvez proposer une alternance de jeûnes intermittents, 2 à 3 fois par semaine et de jeûnes plus longs, une à deux fois par an, par exemple à l’automne et/ou au printemps.